Leçon de tir {Andreas, 2/12/2014}

La réponse du garçon finit d'étonner le lieutenant. Ce dernier ne pensait pas qu'on ne pouvait rien ressentir face à cela. Il s'imaginait une tristesse intense, du désespoir, de la déception et un immense sentiment d'abandon. Comment pouvait-on avoir pris l'habitude de ces émotions ? Le regard sombre, Andreas fronça les sourcils et froidement il lâcha :

" Cela ne sert à rien de faire un enfant si c'est pour ne rien ressentir à son égard. SI c'est pour l'abandonner. C'est d'une traîtrise, d'une lâcheté sans nom… Hélas je crains que vous ne soyez pas le seul dans ce monde… L'homme est un être qui se croit tout permis. Si des créatures parfaites existent dans ce monde elles doivent bien nous trouver méprisables. "

Andreas avait adoré sa mère plus jeune, il avait fait d'elle son modèle de vie. Une femme forte qui rejetait toute critique acerbe, toute injure et qui avait donné sa vie pour son peuple alors que son père ce misérable mécréant n'avait rien fichu d'autres que fréquenter des catins. Il n'avait toujours pas oublié cette haine, cette rancœur contre cet homme détestable violent et infidèle qui avait causé d'énormes peines entre lui et sa mère. D'un geste de la main il rejeta ses souvenirs. Il ne voulait pas se rappeler du jour où il l'avait tué. Le militaire se savait hors-la-loi mais également menteur, il avait prétexté à tous un suicide, oui il avait du sang sur les mains...

Commandant à nouveau un verre, ils eurent tous deux une petite discussion sur l'alcool. Nero ne buvait pas, seul le scientifique trempait ses lèvres dans le liquide fort. Ils possédaient tous deux un point de vue différents sur la question. Il ne le forcerait pas à boire cependant il ne pouvait le nier, c'était une échappatoire. Andreas ne s'était jamais mis plus bas que tard, il buvait simplement jusqu'à ce que ses souvenirs deviennent flous, que la chaleur s'empare de son corps, jusqu'à ce qu'il ait l'impression de n'avoir jamais existé, de planer dans un monde entre le tout et le rien ou bien jusqu'à ce qu'il se l'imagine à ses côtés. Peut-être l'aurait-elle trouvé pitoyable… Il voulait simplement oublier la solitude atroce qui avait fait de lui un être inaccessible. Levant son verre à ses paroles, le jeune homme le reposa et lui posa finalement une question assez indiscrète.


Nero était seul. Pas de petite amie ni de copain. Cela ne l'étonnait pas plus que cela. Lui aussi était un solitaire. Lui aussi avait l'habitude de faire tout par soi-même et de ne rien attendre des autres pas même de l'amour. La situation s'inversa lorsqu'il lui retourna la question. Andreas se sentit partir, son coeur s'évada et ses mains se mirent à trembler. Sortant les deux photos qu'il avait de sa fiancée il la lui présenta. La première avait été une photo prise à la volée chez eux, un instant tout à fait normal. Il se souvenait avoir attrapé le petit appareil photo posé sur le bord du meuble. Il avait rapidement appuyé sur les boutons pur prendre un cliché d'elle. Lorsqu'elle s'était retournée elle s'était jetée contre lui. D'abord de surprise puis Hannah avait fini par en rire. La seconde était simplement un portrait officiel de l'armée. Son coeur se remplit d'un peu de joie lorsque Nero lui répondit qu'en effet, elle fut une très belle femme. Andreas aurait presque souhaité que tous les hommes tombent amoureux d'elle, pour lui il n'existait pas plus belle créature et ce n'était pas pour le physique qu'il le pensait réellement. Non, dès sa première rencontre avec elle, la jeune femme avait dégagé une aura douce, bienfaisante et son sourire avait illuminé sa journée…

Andreas tressaillit lorsqu'il sentit la main du garçon sur sa tête. Ce contact audacieux lui valut de rougir un peu et plongeant ses yeux dans les siens en l'écoutant il détourna finalement le regard et attrapa son verre. Les larmes avaient envahi ses prunelles et discrètement il faisait tout pour que rien ne se voit. Finalement Nero avait raison, il ne devrait pas boire, il se faisait plus sensible, plus réceptif mais cela faisait si longtemps que nul ne lui avait offert une si belle et agréable affection. Buvant d'un trait son verre ses joues se teintèrent d'un peu plus de rouge. Son bras mécanique se posa sur la table et il laissa tomber sa tête sur sa main. La chaleur s'emparait de lui doucement.

" Votre gentillesse, Nero me fait du bien… Parler de tout, de rien, comme si… J'étais encore en vie… ça me fait du bien… Parler d'elle m'allège… le coeur. C'est agréable, d'avoir un ami vous ne trouvez pas ?"

Plus la discussion continuait plus le jeune bleuté constatait que l'abandon des parents était quelque chose qui le révoltait et qui semblait le toucher. A vrai dire Nero aurait peut-être réagit de la même façon s'il était en face de quelqu'un qui avait été abandonné. Pourtant, il en était surpris car ils ne se connaissaient pas beaucoup et pourtant il semblait vraiment préoccupé. Cela ne voulait pas dire qu'il n'était pas d'accord avec lui, oui c'était totalement méprisable mais que lui s'y était habitué et que ce n'était pas forcément un bien.

«  Je le sais mais malgré tout ça je suis quand même content d'être né. Je leur dois juste ça. Et je pense que personne n'est parfait. Et si des personnes parfaites jugent des gens qui ne sont pas parfaits sur leurs imperfections, c'est qu'elles ne sont pas parfaites, à mon sens.  »

L'on allait loin en philosophie depuis le début de cette discussion. Qui pouvait penser que le jeune Nero avait l'esprit si aiguisé ? Il pouvait même en être de même pour Andreas, dans les stéréotypes, l'on ne s'imaginait pas un militaire avec beaucoup d'esprit et pourtant celui d'en face était ingénieur et avait des réflexions intéressantes malheureusement bloquées dans un certain sens à cause d'un traumatisme. C'était légitime. Et il ne lui en voulait pas.  Il avait perdu un être cher et l'esprit ne peut pas toujours être rationnel.

Comme le militaire l'avait fait déjà par deux fois, l'exorciste ne résista pas à lui offrir un petit « patpat », une sorte de caresse, bref, quelque chose qui pouvait lui faire un peu de bien, lui donner du contact physique. Et contre toute attente cela marchait. Il ne pensait pas qu'il en serait si content et si détendu. Il avait l'air d'aller mieux derrière ses joues rouges.

Une phrase le choqua néanmoins mais il n'enleva pas sa main pour autant. Se sentait-il mort ? C'était pour cela qu'il avait dit cela et qu'il se réfugiait dans le travail ?

«  Oui, c'est agréable d'avoir un ami, mais Andreas vous êtes vivant vous savez. Vous ne vous en rendez peut-être pas toujours compte, mais vous respirez, vous pouvez encore accomplir des choses, des choses qui empêcheront que d'autres personnes ne perdent des êtres qui leur sont chers. Des choses qui pourrait rendre Hannah encore plus fière de vous qu'elle doit l'être actuellement.  Je ne la connais pas non, mais si c'est quelqu'un dont vous étiez amoureux et qu'il était aussi, je pense qu'un être cher ne souhaiterait pas que vous vous sentirez mal en son absence.  »