{MISSION} Un petit nouveau [2 août 2015, An 5115] MARBAS

Marbas, concentré à ordonner ses papiers derrière son grand bureau verni, ne relevait son visage assombri qu'après une longue minute. Durant cette dernière un subordonné emprunt d'une certaine terreur patientait silencieusement: au moindre mouvement il pourrait s'attirer les foudres du démon, homme de peu de scrupules. Le moindre défaut deviendrait une excuse pour servir de défouloir. En toutes connaissances de causes donc, l'intrus attendait un signe clair pour s'aventurer à annoncer l'arrivée d'un demi, mort récemment parvenu par le grand portail. Le démon achevait de ranger un lot de dossiers dans l'un de ses tiroirs avant de se reposer contre le dossier de son siège:

- Et c'est seulement maintenant qu'on me prévient?

Le larbin tressaute, et précise qu'un garde leur est parvenu encore tout récemment.

Las, peu inspiré par l'envie -pourtant habituelle- de reprocher qu'on ne soit pas venu l'avertir directement, le démon se lève simplement pour se préparer à accueillir le nouvel arrivant. Dans un geste ample il s'entoure de son large manteau et attrape le col de la veste de l'autre crétin pour le traîner hors de son bureau. Tandis que la porte claque brutalement derrière eux, Marbas rejette en avant son interlocuteur:

- La prochaine fois, ne me met pas en retard.

Force est de constater qu'il s'agit bien d'une menace plus qu'un simple avertissement. Il s'entend que personne oserait réitérer cette erreur à moins de s'attendre à se faire arracher la tête sans personne pour pleurer son imprudence.

- O-oui.. général.

Marbas plongeait sa main ganté dans l'une de ses poches, en extirpait un paquet de cigarettes lambda, et en allumait une en guise de motivation. Désormais lancé dans les longs couloirs de l'Académie, il subtilise un grand drap dans la buanderie en passant devant, puis rejoignait le portail pour y découvrir l'ex misérable humain qui suscitait autant de mouvements dans les enfers. Ce dernier lui semblait particulièrement frêle, quoique pas plus qu'un gamin. Ca aurait été le cadet de ses soucis tient, un môme.

- Allez, debout., crache t il en poussant le corps du bout de sa chaussure. - Si tu crois que j'vais t'porter, j'ai pas que ça à foutre. Debout!

Un mouvement bref. Parfait. Le formateur jetais le drap devant lui pour l'inviter à s'en parer, le temps de lui trouver une tenue plus convenable lorsqu'il aurait trouvé ses marques.

- C'est quoi ton nom?

Encore un fragile à la mémoire défaillante. Le formateur hausse un sourcil en descellant des langages variés avec un certain accent pour le trahir dans cette bouillie expressive d'origines différentes. En tant que Général affublé d'une tâche aussi irrégulière que complète qu'est l'accueil d'un demi à l'académie, il s'est habitué à parler anglais pour communiquer avec chacun des nouveaux arrivants. Etant la langue la plus courante et la plus parlé à cette époque sur Terre cela lui paraissait une évidence que de l'emprunter pour se faire entendre et surtout, comprendre.

- Mes félicitations Sherlock, t'es mort.

Encore un gamin à peine sorti de sa coquille. Le démon jette sa cigarette au sol. Il l'écrase en y éteignant l'infime flammèche qui persistait à en consumer la nicotine et le goudron restant.

- Bienvenue en enfer.

S'il y a bien une chose à laquelle il n'est pas habitué, c'est parler beaucoup. Parler trop. Pour pas grand chose. D'ordinaire Marbas préfère être concis. Cette situation exigerait de répondre à, possiblement, de nombreuses questions successives entremêlée de bégaiement de toutes sortes, d'hésitations multiples, d'insultes proférée à l'encontre d'une injustice quelconque, et il ne sait quelles autres vaines jérémiades juvéniles.

- Alors lève toi et marche. On va avoir du travail.

Le démon plongeait ses mains dans ses poches en lançant un regard mauvais aux gardiens. Pour le moment ils sont une gêne, il pouvaient bien reprendre un peu leurs distances? Ou, peut être le pensent ils incapable de tenir son rôle correctement? Quoiqu'il en soit il tiendrait sérieusement ses engagements. Ca, personne pourra jamais le contester. Marbas n'est pas d'un naturel patient mais il s'efforcera à fournir toutes les explications nécessaires à son intégration parmi eux.

Mort. Qu'y a t il a ne pas comprendre dans ce simple terme. Son concept? Sa définition, son étymologie? Mort. C'est pourtant simple. Faut-il sincèrement être athée pour ne pas concevoir la possibilité que ça arrive? Il y a bien des humains pour crever à tout va de n'importe quoi sur terre. Sur la route lors d'un accident stupide, par maladie due à leur fragilité misérable, ou qui sait, à cause d'un tueur sanguinaire sorti de l'asile. Certains des leurs sont doués pour revenir lorsqu'il ne s'agit pas simplement d'aide extérieure: réanimation, remplacement d'un organe défaillant. Tellement de déchets dont il faut absolument prolonger la durée d'existence, n'est-ce pas?

Alors que le nouvel arrivant cherchait à comprendre bêtement ce que Marbas percevait comme une évidence, le démon levait justement les yeux au ciel. Non pas qu'il s'attendait à ce qu'une divine providence lui permette d'éclairer l'esprit de ce gamin en un claquement de doigt, mais il était exaspéré par avance. Ca allait être long. Très, long. En sachant donc que la résilience n'allait pas être son fort, le formateur fronce les sourcils en constatant que son.. élève, s'essayait à arracher ce qui ornerait désormais sa tête tant qu'il ne maîtriserait pas l'art du contrôle de ses formes humanoïdes.

Un voyage à bord d'un avion avait été mentionné plus tôt dans ses babillements. Le démon spéculait donc sur les causes possibles de sa mort prématurée sans lui exposer pour autant: il pourrait bien s'être crashé, avoir été empoisonné ou avoir eut un infarctus que ça ne changerait rien à cette fatalité.

- T'étais sur terre et t'es mort, point. Fais toi à l'idée.

Marbas, loin d'être avenant, s'en rapprochait cependant pour lui rattraper le bras et le forcer à se redresser. Ses jambes sont en mousse ou il allait tenir?

- Quant aux raisons de ta présence...

"Faire un truc de mal", a pensé son cadet. Qu'est-ce le bien et le mal si ce ne sont des conceptions foncièrement humaines, souvent excessivement manichéennes?

- Un de tes parents d'vais être un Démon. Tu l'étais à moitié alors en crevant t'as fini ici, en enfer.

Marbas songeait à son rôle et usait de son pouvoir de révélation depuis peu pour en tirer de banales informations. La vie de monsieur je roule des r semblait plutôt ordinaire. Ennuyante si il comptait le temps passé devant un de ces foutus écrans led. Un cas social comme il en a déjà croisé, peut être trop semblable à sa potiche de stagiaire. En plongeant son regard dans celui de l'autre il y descellait aussi un infime trait de détermination, ce qui ne serait pas de trop pour encaisser ce qui allait venir:

- Bon. Si tu tient sur tes baguettes tu vas m'suivre. On te donnera des vêtements, je répondrais à toutes tes questions, entamait le démon en insistant précisément sur le "toutes", - et tu entameras tes études à l'académie avec tes futurs petits camarades.

Marbas marquait une courte pause en s'assurant de garder l'attention de son interlocuteur:

- C'est le bâtiment derrière moi. Compris?, finit il en levant le pouce vers l'arrière de sa tête en guise de sommaire indication. - Et si t'es pas trop mauvais, p'têt' que tu m'auras pas directement en éducateur.

Ce dernier détail lui arrachait un rictus, léger sourire déformé au coin de la lèvre en prévision de ce plaisir malsain qu'il prenait à imposer son horrible caractère à ses classes.

Des questions. Encore des questions affluentes servant à étouffer les réponses qu'on lui offrait. Il ne le prend pas au sérieux. Marbas aurait-il une gueule à plaisanter? Qu'il en soit ainsi. Le démon tirait sa seconde main de sa poche. La première raffermit son étreinte sur l'épaule du malheureux. Sans attendre que le gamin s'ahurisse plus longtemps devant les plus grands édifices des enfers, il le tirait vers lui pour l'entraîner à sa suite sur le sentier. Ne lui a t il pas annoncé qu'il lui fournirait les explications désirées une fois parvenus à l'Académie? Il allait devoir ouvrir ses écoutilles, le môme, si il souhaitait survivre à sa seconde naissance.

- Je parlais de tes parents biologiques., lançait-il sans y prêter un regard.

Quant à confirmer ses propres origines, ça ne l'avancerait à rien et il est persuadé d'avoir bien nettement laissé transparaître sa nature.

Son sourire mauvais s'estompait à mesure qu'ils avançaient. Il n'allait tout de même pas devoir jouer les nounous en lui apprenant que, qui sait, maman a peut être eut envie de se faire le facteur un soir de solitude, ou papa ne s'est pas senti l'audace d'annoncer à sa progéniture qu'il l'avait ramassé dans un coin crasseux du pays pour en faire sa descendance? Il s'en contrefout, d'une part. Et d'une autre, il se préparait à devoir passer par toutes les phases du deuil de son... protégé. S'il en est.

- On commencera par la buanderie. Tu enfileras l'uniforme qu'on t'donneras. Ensuite, tu m'suivras jusqu'à mon bureau.

Marbas se stoppait brièvement dans son élan pour se tourner vers lui tout en relâchant la pression sur son bras:

- En premier lieu je répondrais à tes questions. Les preuves nécessaires à l'appréhension de ces réponses te seront apportés en temps et en heure.

Si sa rigueur ne lui suffisait pas, le Général allait se sentir contraint de lui en coller une pour s'assurer l'acquisition de son attention pleine et entière.

- C'est compris, cette fois?

Les laisser se perdre dans le songe, l'esprit brumeux avant de réaliser ce qu'il est advenu de leur vie antérieure, est une façon comme une autre de s'assurer qu'ils le suivent bêtement, facilement, comme le bétail qu'ils sont à ses yeux. Marbas gère toujours mieux un pantin malléable qu'un caniche hyperactif et nerveux en quête d'attention particulière.

- Bien.

Arrivés à la buanderie après une longue marche silencieuse, le démon s'appuyait sur la présence de la maîtresse des lieux pour trouver un uniforme adapté à leur nouvel arrivant. Ce passage écourté, le formateur put ensuite se concentrer pleinement sur d'autres priorités: la principale étant de faire entendre raison au gamin installé face à son bureau. Sa mine perdue le lassait déjà.

- Je vois.

Le démon attrapait son paquet de cigarettes pour la troisième fois ce matin.

- J'aimerai d'abord attirer ton attention sur ce papier, commençait il en repoussant un lot de feuilles agrafées devant lui, toutefois sans l'inviter à en prendre possession.Tu vas d'abord me parler de toi. Ta vie, tes petits projets...

Marbas levait sa cigarette à hauteur de ses lèvres et en allumait l'extrémité avec un briquet argenté.

- Ta famille, tes amis, ta chérie.. si t'en avais une, s'arrêtait-il brièvement, en partie répugné. Bref. Tout c'qui t'viendrais à l'esprit te concernant. Je remplirais ce truc à mesure que ta mémoire te reviendra.

Enfin, comme ça pourrait lui prendre longtemps il n'attendrait pas dix ans. Le jeunot s'y fera en rejoignant l'académie de toute façons.

- On verra ça dans l'ordre. Si t'as des questions à ce moment là, nous verrons.

Les enfers. Cet endroit s'imposera bien naturellement sans qu'il soit nécessairement évoqué prochainement. Ils finissent tous par l'entendre comme leur dernière demeure en comprenant leur appartenance et leur place en ce monde.

D'abord sans un mot ni une mimique, Marbas retournait le tas de feuille d'une main, dans sons sens. En ôtant ensuite le capuchon d'un stylo plume argenté il retenait et inscrivait les informations principales qu'on lui donnait. A la réflexion, si le débit de paroles de l'autre ahuri ne diminuait pas le dossier serait rapidement complété, clos, et il pourrait s'affairer ailleurs. Une perspective réjouissante si le hasard ne comptait pas lui envoyer un second fléau humain dans les pattes.

- Ta confiance je m'en moque comme d'une guigne. Tout comme tes proches humains à vrai dire.

Tandis qu'il relevait la tête en reportant son attention sur le cadet, le démon déposait sobrement son stylo devant lui:

- Ce qui m'intéresse, c'est entendre ce que tu sais. Il me semble que tes souvenirs son intactes. Alors, si tu n'es pas foutu d'parler de toi même... tes dents ne te seront d'aucune utilité ici, je présume?

La suite est naturellement prévisible. C'est surprenant comme les gens s'inquiètent toujours pour leur dentition avant leur vie. D'autant que, souvent, les informations demandées semblent soudains futiles en comparaison.

Le Général appréhendait encore le caractère du petit nouveau. Du genre prudent mais pas dénué d'audace peut être? Ou stupidement effronté? Patient tant qu'on le menace personnellement, mais rapidement emporté par le courant lorsqu'il s'agit de sa famille?

- Tu vas devoir t'intégrer ici. Que tu sois un génie surdoué ou un crétin irrécupérable tu te rendras bien vite compte que tu n'as plus ta place parmi les Hommes. Même si tu devais retrouver le chemin jusqu'au portail humain tu étoufferais lentement. L'air là bas, est désormais un poison nocif auquel tu ne pourrais t'habituer qu'au prix de longues années d'entraînement, d'efforts et d'apprentissage.

Le démon reposait son dos sur son siège:

- Apprentissage à parfaire dans cette présente école. Laquelle ne t'accueillera qu'une fois ton identité déterminée.

Marbas s'interrompait brièvement.

- Puisque tu ne reconnais aucun parent démon, il faut que nous sachions à quelle grande famille tu appartiens originellement.

Pour appuyer ses propos le Formateur laissait tomber son manteau sur ses épaules afin de s'en débarrasser, avant de retrousser ses manches pour laisser apparaître les effets de son tatouage coulant, lequel prenait forme de fines ronces noires sur ses avant bras. Il les levait à hauteur de son visage pour se présenter.

- Ici bas tu me reconnaîtras comme Marbas Liontàri, ton Formateur et supérieur direct.

Marbas prenait une grande inspiration, posément.

- Les Démons, ici, ont tous une appartenance précise. Elle détermine ce que tu es et ce dont tu seras capable. Contrôler un élément, tracer des portails, te fondre dans les ombres, changer de forme, t'approprier les désires d'un autre ou les manipuler, influencer les pensées et les actions futures d'un autre en t'insinuant dans son esprit. Que tu en fasses un pouvoir destructeur, informateur, ou de soutient, il ne tiendra qu'a toi de le développer dans le sens voulu. Toutefois, il faudrait encore en connaître les limites, les possibilités, et, donc, savoir à quelle foutue famille tu appartiens.

Viendrait plus tard les explications visant à lui inculquer son allégeance à Lilith.