C'est la foire au marché ! {16 juin 2015} Gabriel et Urkan [mission]

    À la faveur d’une matinée tranquille le jeune protecteur adjura son maître –avec zèle- de lui laisser l’occasion de le suivre. Comme s’il souhaita tenir compagnie, ou juste s’assurer que rien ne survienne. Rare étaient les marauds en ce havre de paix, mais l’infime risque hanta toujours ses craintes qu’un ponte ne subisse l’agression d’un opportun diable ou autre humain fou. Lui-même gardait séquelles de son ancienne vie, alors un pire ne lui parut pas à exclure. Ainsi obtint-il gain de cause après s’être expliqué, quitte à paraître trop nerveux ou pessimiste, voire en mal du pays. Et la ballade au marché de Farédis lui ferait grand bien, put se dire son supérieur. Ce veuf anxieux s’en revint dont –à l’aube- d’une missive qui le troubla. Assigné plus tôt à l’escorte d’un dignitaire, l’auburn aux reflets rouges sous le soleil dut surtout s’adonner au gardiennage de l’héritière en devenir, douce bambine à la demeure en marge du vaste quartier résidentiel (au nord-ouest de Genesis), juchée sur un petit îlot privé. Une tâche loin d’être ingrate, juste âpre. Car l’homme caressa l’an dernier perspective de l’adoption d’orphelin, l’un de ces spécimens improbables qui renaissent juvéniles et sans repère. Cette similitude vaine devint regret. Son sire put d’ailleurs reconnaître cette caractéristique inhérente aux non-natifs, sachant que son disciple vagabondait souvent parmi son ancienne race. Sans doute accablé de remords, certains éprouvèrent longtemps ce multiple manque de terrestreries. Chose qu’il avait clamé sans rougir ni toutefois dénigrer sa patrie nouvelle et les attaches liées, pareillement diverses. À la dérive, hélas.

Un prédateur ne se rue qu’en de rares circonstances hors de son territoire. Aubaine opportune ou perfide besoin ? Et ces conquérants ne virent le risque à profaner la quiétude d’une tribu adverse, brisant ainsi l’accord tacite qui les cloîtraient chacun chez eux. Le genre de pacte naturel que seule une maladresse ou un incident détourne. Comme en témoignèrent les trop vagues témoignages de titans meurtris à l’arrivage. Lui émit l’hypothèse que l’un put fuir l’autre, acculé dans le vide s’il n’entraina pas son détracteur dans sa chute ni que la banale lutte intestine ne dégénéra comme d’ordinaire. Des pachydermes étourdis s’agressèrent dont sans se soucier du reste. L’hystérie collective des civils se bousculant, ainsi que les étales pulvérisés aux débris qui fusent et blessent des âmes confuses, figées d’une torpeur soudaine voire mises à bas par leurs semblables. Sans omettre les gens qui valdinguent. Il relativisa, les ramassant. Au moins n’y avait-il pas de meute, pour l’instant peut-être. Or la dévastation s’étendit vite, de vraies tornades. Ce chaos le ramenant presque aux heures sombres de conflits barbares et cauchemardesques, lui victime puis instigateur. Que faire alors, hormis secourir des malheureux et œuvrer à l’évacuation? L’optique d’une tentative de suicidaire le trotta preste. Fut-ce pourtant judicieux ou viable d’entreprendre d’attirer l’attention des colosses afin de les confiner aux abords du précipice plutôt que croire qu’ils s’épuiseraient d’ici peu ? Au risque que ces créatures affolées ne fuient et déferlent sur la clinique, voire la zone des études.

Trop d’inconnues agitèrent le pugiliste résigné à suivre les ordres lorsqu’il faillit encore se tapir dans les vestiges d’échoppes et assaillir de pierres menues ou fruits. La tactique retenue étant la meilleure en l’état, enfin il l’espérait en son vol véloce vers la clinique. Une destination Transmettre un rapport concis et clair des évènements puis revenir en hâte, quelque part dans l’esprit de pouvoir faire la différence. Ne pas être au front tenaillant les retardataires, Urkan Geth ne voulu pas découvrir la scène d’une massacre ni présumer du talent d’hommes de valeur et d’expérience. Des vétérans, véritables modèles. Ainsi s’empressa-t’il de s’acquitter de sa besogne, sans bavure ni omission, de sorte à se sentir moins inutile à ce peuple qui l’accueillit en dépit de ses fautes et travers. Une dette à son sens éternelle, d'une infinie gratitude.

A l’arrivée des peydrodons, les ordres sont rapidement donnés par notre Conseiller de l’armée. Nigishii et les autres subordonnés les plus proches – qui sont venus dès qu’ils ont vu cela, ils ne sont pas très loin, heureusement-, viennent faire un bouclier. C’est au total trois anges qui viennent pour tenter de protéger la population et les bêtes, bien évidemment. Sur ces trois anges, un est balayé par la queue d’un peydrodon car ce dernier s’est trop approché, les deux autres -Nigishii et un lambda- arrivent à maintenir un bouclier.

Parce que le tirage de dé ne t’aime apparemment pas, Gaby, il y a encore deux anges qui sont assommés juste à côté des peydrodons, l’un a été blessé par des débris, et l’autre, le peydrodon lui a marché dessus, lui écrasant partiellement le thorax -ça fait mal-. Cela dit, les animaux ne semblent pas vraiment s’intéresser aux anges, ils semblent bien trop préoccupés par leur propre combat.

Rapidement, Urkan s’en va donc faire un rapport à la clinique -complet, donc- et surtout rameuter des personnes capables de soigner. Trois soigneurs suivent le protecteur, tandis que d’autres préparent le terrain, les lits, les perfusions et les éventuelles salles d’opération. Le soin magique, c’est bien, mais avec des opérations, c’est beaucoup plus efficace et moins dangereux, surtout quand il risque d’y avoir autant de blessés… Quant aux dresseurs, eux aussi, sont rapidement prévenus de ce qu’il se passe. Bien évidemment, notre responsable des dresseurs, le bien aimé (ou pas) Razel Elmessy ainsi que d’autres de ses subordonnés se rendent immédiatement sur les lieux. Les deux groupuscules arrivent à peu près en même temps.

« Que ceux qui le peuvent prêtent main-forte pour les boucliers ! » Lança Razel. Certes, les dresseurs ne sont pas des combattants, mais la majorité ont des affinités avec les cercles magiques, il est donc normal qu’ils aident.

« Conseiller Gabriel, comment souhaitez-vous procéder ? Nous sommes prêts à aller chercher les deux anges restants. » Demanda l’un des soigneurs tandis que les autres s’étaient déjà dirigés vers les personnes inconscientes pour évaluer leur état.

Razel s’était lui aussi approché de Gabriel, gardant un œil sur le combat des peydrodons qui faisait rage, ils étaient en train de se mordre, détruisant un peu plus les étals et se cognant aussi aux boucliers, rageant contre eux.

« Certains dresseurs sont allés chercher des herbes dont ils n’aiment pas l’odeur, pour tenter de les faire remonter. »

S’il n’y avait eu qu’un seul peydrodon, le calmer aurait été plus simple, là, à deux, c’était impossible…

     Que faire, hurlait sourde rengaine. Fondre aux estropiés gisants à extraire, faire étalage de projectiles afin d’aveugler les monstres ou effectuer un rodéo du colosse le moins vaillant dans l’optique que l’autre ne vainque et s’en aille ? Ainsi vint-il se placer derrière un brave des défenses magiques, un large morceau de bois -prompt à lacérer la chair ou crever un œil- dans la main gauche et une lourde pierre dans sa paume droite aux phalanges blanchies de frustration, ongles ébréchés rouges.

     Fin prêt à en découdre à la dure, à l’instar d’un sauvageon. Comme au vietnam. Le regard fou, bestial. Un barrage bardé de fissures ne tient jamais, la pression à l’œuvre menaçant de jaillir. C’était un peu comme contenir la déflagration d’une grenade par le sacrifice d’un homme, et il en vit certain le faire puis voler en éclats. Le phénomène abasourdi, ébranle les meilleurs. Alors si le dôme explosait, la situation serait pire. La frénésie barbare de ces colosses sans doute décuplée, à leur encontre. Son maître le savait, la tension palpable si lourde à mesure que les secondes s’égrènent. Or il fit montre d’un calme louable en façade, aussi son disciple s’évertuait à  rester lucide malgré certaines réminiscences aggrave-trouble. L’attente pourtant insoutenable faillit le faire flancher. Soudain, le signal de l’assaut. Le gaillard à la chevelure châtaigne projeta ses armes de fortune  au visage du premier, au niveau de la joue, et pour l’autre le bois en javelot vers l’épaule ; avant de fondre au plus près, dans une tentative d’uppercut -sous la mâchoire inférieure- en plein envol. La voltige impétueuse était dans sa nature, comme le manque de prudence parfois. Pour peu suicidaire, chose qu'un natif n'entrevoit guère avec sa peine.

Spoiler:

     Le titan s’ébranla sous l’impact d’une plausible pichenette, guère sonné, un inconfort cela dit fructueux avec la myriade d’offensives conjuguée ; sauf qu’une corne refoula l’auburn par son plan rugueux, lui épargnant les pics. Lourde gifle, une collision pareille à la charge d’épaule d’un rugbyman. Il dégringola, se ressaisit à terre, derrière la ligne de front. L’atterrissage malhabile sur trois pattes. Outre son léger tournis, lui n’eut à déplorer que d’infimes écorchures. Le souffle revint et l’éphèbe s’élança encore, vers l’animal le plus difficile à contenir. Dut-on le harceler jusqu’à l’épuisement. D’autant que les dames apprécient les cicatrices, mêmes fugaces, ironisa ce galopin trop téméraire. Et l’attente dura peu. Nul besoin de s’illustrer, personne n’en retira gloriole ni n’envisageait en service d’avoir l’occasion de faire acte de vantardise par la suite. Même lui qui rédigea des histoires absurdes à ce propos, le burlesque plutôt qu’une diatribe. L’exutoire aux violences qui le hantent. Monsieur se retira lorsque les spécialistes de la faune et de la flore virent clore l’incident. Si efficace avec leurs décoctions indolores. Ironie le laissant hilare en sourdine. Il songeait -durant l’inspection- à ce que la caserne put s’en munir d’un échantillon, par fiole, mais se ravisa dès l’optique qu’un filou puisse embaumer l’endroit et causer un terrible désagrément.

_ Ravi de voir que personne n’a rien, monsieur. Je me sens capable d’aider. son implicite demande témoignait toute sa dévotion, l’infinie gratitude envers ce peuple, et l’investissement professionnel empêche l’homme de ruminer son triste sort